Entretien avec Frédérique Keller

Publié le 3 mai 2011 Mis à jour le 5 septembre 2012

adjointe de Pierre Riboulet pour le suivi du bâtiment

 Frédérique Keller a bien voulu répondre aux questions de Jean-Claude Annezer, afin d'éclairer la riche personnalité de l'architecte qui fut son maître. Des extraits de cet entretien sont parus dans le n° 2 de la revue PAROLES, fin janvier 2004.


Comment avez-vous été amenée à travailler avec Pierre Riboulet et quels dossiers vous a-t-il confiés ?

Je suis rentrée à l'agence en 1996 pour participer à la réalisation du mobilier de la bibliothèque de Limoges qui s'est terminée au moment du concours de la bibliothèque universitaire du Mirail.
Pierre Riboulet m'a chargée avec d'autres (Roger Sapin, Mireille Costaz, Xiaolin Zhang) des études de la BU depuis l'avant-projet jusqu'au chantier. Parallèlement, j'ai participé à d'autres opérations dans des domaines différents (concours sur différents programmes, chantier de bureaux).


Quelle était sa méthode ?

Dans sa méthode de travail, il est à noter que Pierre Riboulet élaborait seul ses projets quelle qu'en soit la dimension, ce qui n'est pas chose courante dans les agences en charge d'importants projets.
Tout d'abord, il analysait avec " gourmandise " les pavés de programmes jusqu'à maîtriser parfaitement les usages et les relations souhaités dans le futur bâtiment.
Ensuite, il travaillait à partir du site en fabriquant lui même des maquettes en liège à très petite échelle pour mettre en forme la réponse juste et s'attachant particulièrement aux relations urbaines.
Une fois la composition déterminée, il la traduisait en plans et en coupes (vision des volumes) de façon extrêmement précise. Il déléguait le dessin des façades qui était pour l'essentiel une expression des plans.
A partir de là, un architecte de l'agence menait les études avec une équipe. Pierre Riboulet accordait une grande confiance à ses collaborateurs pour mener à terme ses projets qu'il suivait en même temps dans le détail avec le souci de respecter le parti initial.

 

Avez-vous l'impression qu'il avait un style et qu'il faisait école ?

Je crois qu' on ne peut pas parler de " style " ni d'école. Pierre Riboulet avait une approche atypique de l'architecture ; sa conception des projets était solitaire et " artisanale " au sens noble du terme (la planche à dessin et le té à côté du bureau).

 

" Bâtisseur de bibliothèques "(" La joie par les livres " avec l'atelier de Montrouge, la BFM de Limoges, la BU de Paris 8, la BU de la Faculté de Sciences économiques de Paris 12, la BU du Mirail , la BM d'Antibes, le projet 2001 pour la Médiathèque de Milan) Pierre Riboulet oeuvrait la plupart du temps dans l'espace public. Quel était son état d'esprit, celui d'un intellectuel engagé, d'un militant lucide ?

Pierre Riboulet a toujours entretenu de très bonnes relations avec les utilisateurs de ses bâtiments, souvent fondées sur un rapport personnel avec l'un ou l'autre (chef de service hospitalier, président d'OPAC, directeur de bibliothèque). Ces relations donnaient du sens et du corps à la qualité et au suivi du projet. Ceux-ci étant pour une grande majorité des commandes publiques, les directives européennes sur l'anonymat des concours l'ont particulièrement contrarié.

Les bâtiments de Pierre Riboulet sont des bâtiments où la réponse est juste autant dans la fonctionnalité que dans la qualité des espaces. Il n'y a pas de " vocabulaire architectural " au sens d'un travail plastique mais plutôt une recherche du bien-être.
Le travail sur le volume (au sens de la dimension des espaces) est très important dans chacun de ses projets : l'espace où évolue l'usager est à chaque fois qualifié
(sublimé) par des dimensions et une lumière très particulière, " un lieu où l'on perçoit, même de manière fugitive, qu'on pourrait avoir à faire avec le temps et avec l'infini "* (extrait du texte de présentation du concours de la BU du Mirail).

Cela est également vrai concernant les relations de ces bâtiments avec leur site : il s'agit de pièces urbaines qui structurent et qualifient des espaces souvent dissolus, ce qui est particulièrement évident pour la biliothèque de Paris 8 à St-Denis.

La générosité des espaces et la fluidité des relations de ses projets étaient bien souvent éprouvées par des normes et des réglementations de plus en plus contraignantes visant à cloisonner et à fragmenter (souvent sujet d'indignation de sa part car cela allait toujours dans le sens de l'appauvrissement de la création architecturale). Pierre Riboulet y répondait en cherchant à les utiliser et à les dépasser pour tenir ses objectifs.

A l'origine de cette démarche, il y a un engagement total et fondateur dans la cause sociale et le bien commun qui constitue le socle de son travail et qui déterminait les limites de ce qui était acceptable dans le travail d'architecte (beaucoup de bâtiments publics, des réponses particulières sur la question du logement social). Il n'y avait pas de dogmatisme, mais un suivi pragmatique des projets.

 

Peut-on dire que l'oeuvre de ce grand architecte est une quelles qu'en soient les expressions ?

Tous les projets de Pierre Riboulet répondent aux critères que vous évoquez ; une esthétique méditative, l'évidence d'un vivre ensemble, une richesse émotionnelle et enfin une grande maîtrise technique et en ce sens on peut parler d'une oeuvre. Cependant ses bâtiments ne sont pas reconnaissables au sens du style mais plutôt de l'esprit qui s'en dégage : une grande richesse des espaces toujours en adéquation avec la pratique du lieu, résultat d'une attention permanente à l'individu.

Il est difficile de parler de l'avenir du style de Pierre Riboulet. Ses projets ont apporté des réponses différentes à certains programmes (notamment l'hôpital Robert Debré où il a inventé un autre hôpital) et cela aura sensibilisé les maîtres d'ouvrages pour les bâtiments à venir.

Son oeuvre d'architecte est l'expression d'une personnalité forte, sensible et généreuse ; en ce sens, elle suscitera toujours un grand intérêt même au delà de la profession et sera une référence.

 

Propos recueillis par Jean-Claude Annezer

le 16 décembre 2003